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Léon Poirier

(1884- 1968)
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Né dans une famille de vieille souche française où les arts furent toujours en honneur et qu'illustra sa tante, la peintre impressionniste Berthe Morisot, Léon Poirier fut d'abord un homme de théâtre, avant de devenir réalisateur chez Gaumont où il succède à Louis Feuillade au poste de directeur artistique. Dans le courant des années 20, il s'émancipe de la tutelle de Léon Gaumont pour devenir un cinéaste-ethnologue emprunt d'un mysticisme opposant les notions de civilisation et de spiritualité.

En 1906, alors qu'il est le tout jeune secrétaire général du Gymnase, il se fait remarquer en supprimant la morte saison des scènes parisiennes. Il instaure la saison d'été qui lui offre fortune et gloire dès 1910, où il présente "Le Mariage de Mlle Beulmans". Le succès est tel qu'il fait jouer la pièce dans trois autres théâtres de Paris ( la Renaissance, le Théâtre Réjane, Les Bouffes Parisiens).
"L'hystérie collective du succès... A ma connaissance, il n'existe que deux cas dans les annales du théâtre de ces vingt dernières années: Cyrano de Bergerac et la Dame de chez Maxim's.
L'année suivante, il organise au Vaudeville une saison d'opérette qui connaît un triomphe.
Sur cette lancée, il décide de créer son propre théâtre. Avec Gabriel Astruc et les frères Perret il s'attelle à la construction du bâtiment qui abritera la grande salle du "Théâtre des Champs Élysées" et la petite de la "Comédie des Champs Elysées" baptisée lors de l'inauguration en 1913 "Théâtre Léon Poirier". La faillite de la salle principale (malgré les Ballets Russes), une série d'insuccès et un grave accident précipitèrent sa ruine.

Léon Gaumont qu'il connaissait pour lui avoir loué le Gymnase pour les représentations de son chronophone lui fit une offre: cinquante francs par semaine pour écrire le scénario et mettre en scène un film de cinq cents mètres qui devait être tourné dans le même laps de temps pour un budget total de 2500 francs. Ce sera "l'Amour passe" (avec Catherine Fontenay), puis "Le Jugement des Pierres", "Ces demoiselles Perrotin" (avec Alice Tissot), "Monsieur Charlemagne" et "le Trèfle d'argent", interrompu par la guerre dans laquelle il s'engage comme artilleur.
En 1919, il revient à la vie civile avec pour intention de se tourner complètement vers le cinéma. Il se remet à l'œuvre aux studios Gaumont où il tourne "Ames d'Orient", drame étrange, dont les scènes principales se déroulent dans un jardin de la Côte d'Azur avec l'interprétation de Madeleine Sève et André Nox. En 1920, il réalise, d'après une idée d'Edmond Fleg "Le Penseur", drame philosophique dont André Nox et Madys sont les acteurs principaux. Puis "Le Coffret de Jade", anecdote humoristique et philosophique. "Narayana", rêverie fantastique, vient l'année suivante, interprétée par Van Daële, Myrga et Madys.

En 1922, "L'Ombre déchirée", avec Suzanne Després vient compléter la galerie de visions fantastiques auxquelles semble se complaire le réalisateur. En 1922, c'est le "Jocelyn" de Lamartine que la maison Gaumont, désireuse de filmer presque exclusivement des adaptations littéraires ou théâtrales, demande à Léon Poirier de réaliser. Puis viennent "L'Affaire du Courrier de Lyon", "Geneviève" et "La Brière".

Avec "La Croisière Noire" (L'expédition Citroen qui traversa l'Afrique en autochenilles), s'amorce la seconde carrière cinématographique de Poirier : l'ethnologue fasciné par les cultures primitives."Tout évolue, tout change, tout se transforme, ou plutôt parait se transformer, car la nature humaine reste la même et l'humanité qui s'habille ne fait que camoufler l'humanité toute nue".
Il enchaîne avec "Amours exotiques" avec Suzanne Bianchetti, avant de revenir en France pour préparer le tournage de "Verdun Visions d'Histoire", fresque historique consacrée à la grande bataille. Le procédé est symbolique, chaque personnage représentant des catégories de population tant en France qu'en Allemagne confrontées au choc de la bataille. Le soldat français, le soldat allemand, les officiers, le pacifiste, la mère de famille... Le ton est pacifiste, la logique du film conduit à la fraternisation. Nous sommes en 1927, l'époque est à la réconciliation franco-allemande.

"En 1927, onze ans après la ruée allemande sur le bois des Caures, il restait encore bien des combattants. Ce furent d'ailleurs les survivants des Chasseurs de Driant eux-mêmes qui participèrent à la reconstitution des journées terribles...
Les lieutenants Simon, Robin, le capitaine Vantroys et tous les anciens des 56è et 59è Chasseurs se rendirent à mon appel, les tirailleurs marocains de la garnison de Verdun et les jeunes recrues se mêlèrent aux poilus de la 42è division, de telle sorte que Verdun ne fut pas joué, mais revécu."

A l'exception bien sûr des deux artistes incarnant l'Épouse et la Mère (Suzanne Bianchetti et Jeanne Maris-Laurent), à l'exception aussi des plus de 60 ans comme André Nox et Maurice Schutz, interprètes et techniciens furent tous d'anciens soldats. Thomy Bourdelle, Albert Préjean, Danielle Mendaille, Jean Dehelly, Pierre Nay, les opérateurs Robert Batton et Georges Million ne firent que remettre leur uniforme. Les Allemands eux-mêmes, Hans Brausewetter en tête furent de vrais Allemands. Je connus l'étrange sensation de commander à Berlin un défilé authentique au pas de l'oie. Seul parmi les jeunes, Antonin Artaud, le poète surréaliste, entendait le canon pour la première fois, et encore était-il bien dans son rôle d'intellectuel pacifiste mourant en holocauste dans un trou d'obus, un vrai, où se trouvait les restes d'un bras avec une plaque d'identité où on pouvait encore déchiffrer: "Fulle ... 916" (classe 1916). Ce martyr avait vingt ans".
Pour accroître l'authenticité du récit il insert des documents d'époque (Pétain, Joffre, Nivelle, le Kaiser ... )

Le film terminé, il fait ses bagages pour Madagascar pour réaliser "Caïn, Aventures des mers exotiques" où Thomy Bourdelle incarne un homme moderne, "une scorie de l'usine brusquement plongée dans la nature absolue des tropiques, dernière zone où l'homme soit encore obligé de s'incliner devant elle. Voilà pour la situation. L'action, c'est la vie de cet homme, l'odyssée de sa conscience, l'histoire de son amour."

" En peignant l'aventure du demi-civilisé européen, déclassé, révolté, découvrant en cette île déserte le paradis perdu, le reperdant, le retrouvant une fois de plus, c'est un mythe moderne que M. Poirier cherche à nous donner, une moralité légendaire" (André Levinson).

Retour à Paris ensuite pour mettre au point dans la douleur la version sonorisée de "Verdun Visions d'Histoire", "Verdun Souvenirs d'Histoire". Comme beaucoup de réalisateurs au temps du muet, il fut dérouté par l'arrivée du parlant qui mettait un terme à une certaine forme de symbolisme qui lui semblait être l'essence même de l'art cinématographique.

Il repart en Afrique ensuite pour réaliser un film d'aventures se déroulant pendant la 1ère guerre mondiale, "La Voie Sans Disque".
A son retour il se plonge dans la biographie de Charles de Foucaud écrite par René Bazin et se repend de ne pas avoir pris la peine d'effectuer les deux kilomètres qui le séparaient de Béni-Abbès pendant le tournage de "La Croisière Noire". Pour réparer cette paresse, il entreprend la préparation d'un film consacré à la vie de Charles de Foucaud: "L'Appel du Silence". Il imagine un financement original : par souscription nationale. Il obtient le parrainage du général de Castelnau, "le capucin botté" comme l'appelait Clemenceau et par celui-ci de la puissante Fédération Nationale Catholique. Pendant seize mois, il parcourt la France et la Belgique avec une conférence sur Charles de Foucaud, accompagnée de projections fixes. A l'issue, il récolte les souscriptions. Elles suffiront pour atteindre la somme qui permettra ensuite aux banquiers d'avancer sans risque le complément du budget. Citroën met gracieusement le matériel automobile à la disposition du réalisateur. Poirier a subi pendant le tournage de "La Croisière Noire" l'envoûtement du désert et il veut le traduire en images mieux qu'il n'a pu le faire la première fois, où son travail était soumis aux exigences d'une expédition publicitaire. Car le sujet touche à son drame personnel. C'est au Sahara qu'il a retrouvé la paix intérieure après une grave crise morale. Aussi, il entend "montrer simplement une âme qui, dans l'immensité silencieuse du désert se dilate en direction de l'infini inaccessible". Il enchaîne ensuite avec "Sœurs d'Armes"(avec Jeanne Sully et Josette Day), l'histoire de Louise de Bettignies, chef d'un réseau de résistance dans le nord de la France pendant la 1ère guerre mondiale. Outre l'originalité du sujet qui nous apparaît d'autant mieux aujourd'hui que la résistance est devenue l'apanage quasi exclusif de la deuxième guerre mondiale, il représente les soldats allemands non plus dans le personnage traditionnel du Prussien ("La Grande Illusion" est tournée la même année), mais déjà sous des traits et avec des comportements qui introduisent aux déviances du nazisme.

Mais Poirier, décidément ne tient pas en place. Il repart pour l'Afrique et plus exactement dans la forêt équatoriale du Congo et du Gabon pour réaliser "Brazza ou l'épopée du Congo", l'histoire de la bataille que se livrèrent Savorgan de Brazza et Stanley dans la conquête de l'Afrique, la premier adoptant une attitude résolument pacifiste pendant que le second n'hésitait pas à recourir à la violence de manière quasi systématique. Plus généralement, il oppose la colonisation française à la colonisation britannique.

Lorsque le film fut terminé, la France était en guerre.
Il tourne un film controversé en 1943, "Jeannou".
Enfin, en 1947, il repart pour l'Afrique avec Robert Darène pour prolonger son étude de Charles de Foucaud. Ce sera la "Route Inconnue", et la confrontation des trois religions monothéistes. Le message, œcuménique, présente néanmoins les religions chrétiennes en situation de faiblesse par rapport à l'Islam et au Judaïsme (La civilisation entraîne le déclin du spirituel).
Il se retire ensuite dans la petite commune d'Urval le Buisson en Dordogne, dont il devient maire. Il publie ses mémoires en 1953 aux éditions Mame, "24 images à la seconde" où le cinéma s'efface largement derrière une forme littéraire de réflexion humaniste. Il meurt en 1968 dans un anonymat sur lequel il convient de s'arrêter un instant.
Les notes biographiques que l'on trouve sont sans appel. Bien souvent son nom ne figure pas dans les dictionnaires. On peut lire "Cinéaste officiel de la troisième république", "colonialiste", "ultra conservateur", "réactionnaire", "conformiste"... Les raisons de ce dénigrement sont incertaines, mais quelques épisodes de sa vie peuvent expliquer ces formules lapidaires: - Il fut au centre d'une polémique lors de la sortie de "La Croisière Jaune". Citroen avait alors confié le tournage de la traversée de l'Asie à André Sauvage. A la suite d'un désaccord de fond entre Sauvage et Citroen le montage fut confié à Poirier. Citroen refusa par la suite que Sauvage signe le film et inscrivit au générique le seul nom de Poirier. Les milieux intellectuels s'insurgèrent en faveur de Sauvage et contre Poirier. Citroën, seul véritable propriétaire du film ne voulut rien entendre. Sauvage abandonna la cinéma. Il en resta une rancœur persistante à l'égard de Poirier.
Puis il y eu le cas "Jeannou" en 1943 qui est considéré par certains comme un film pétainiste. Pétain a prêté son concours à Poirier pour la réalisation de "Verdun Visions d'Histoire". Le respect du vainqueur de Verdun a-t-il pris le pas sur le reste? C'est possible.
Même le mysticisme profond qui habitait Poirier joua en sa défaveur à une époque ou les intellectuels dénonçaient les complaisances de l'Eglise à l'égard des occupants.
Et "La Croisière Noire"? Elle est perçue par beaucoup comme un film néocolonialiste. N'est-elle pas en réalité que la préfiguration du Paris-Dakar?

Par delà les controverses, essayons de retenir l'essentiel:
Il fut une figure importante du cinéma muet qui occupa à la Gaumont un rang identique à celui de L'Herbier ou Feuillade. Un pionnier ensuite, un des premiers qui aient compris que le décor d'un film pouvait être le monde. Un cinéaste avec un regard d'ethnologue et une réflexion sur la nature de l'homme civilisé. La civilisation qui mène au charnier de Verdun ou à la conquête impitoyable de Stanley qu'il oppose à L'homme primitif en harmonie avec la nature et les dieux.

Souvenons-nous qu'il tournait des films à l'autre bout du monde, dans des conditions qui n'ont rien à voir avec celles d'aujourd'hui et que sa démarche était lucide :

"Il est indubitable que pour démolir votre bonheur, simple enfants de la nature le diable s'est habillé en commerçant. Vous mangiez des bananes, du poisson et des poules avec plaisirs, mais voici qu'il crée en vous le besoin du bifteack, demain, il créera ceux de la casquette, du short kaki, de la lunette noire, puis ceux de la bicyclette, de l'auto, de la radio, de la télévision et comme tout le monde ne pourra pas acheter ces objets jadis inutiles, devenus indispensable, il y aura des jalousies, des luttes de classe, des conflits sociaux: vous serez devenu un grand peuple, vous travaillerez jour et nuit pour conquérir la liberté, sans même savoir que vous l'avez laissée derrière vous.En fin de compte et jusqu'à l'expiration des temps, l'humanité qu'elle soit noire, jaune, rouge ou blanche, pourra changer sa manière de vivre, mais ne parviendra jamais à modifier la vie qui ne lui appartient pas.Elle ne fait que l'entrevoir entre ces deux infinis: l'amour et la mort."

Il fut un cinéaste insatisfait devant les permanentes compromissions qu'engendrent les lourdeurs matérielles d'un film. Un artiste qui enviait souvent la liberté de l'écrivain face à cette forme d'esclavage que constituait pour lui les contraintes du cinéma.

Et concluons par cette phrase d'André Lévinson:
"Poirier s'éloigne du monde civilisé non pour satisfaire une fringale de sensations neuves, non pour courir l'aventure, mais pour mieux se recueillir.

Les citations entre guillemets sont extraites de ses mémoires: "24 images à la seconde".
Photo : Léon Poirier (Collection famille Poirier)

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